Différences entre bas-rhinois et haut-rhinois

 

Tous les Alsaciens dialectophones ont conscience des différences existant entre le dialecte alémanique du nord et celui du sud de la région. Mais autant les locuteurs sont faciles à situer dès qu’ils ouvrent la bouche, autant la compréhension reste aisée. La variété, loin d’être un handicap, comme on a longtemps tenté de nous le faire accroire, est bien une des richesses de cette langue. Peu importe, d’ailleurs, laquelle des variantes on possède ou on apprend, puisqu’elle donnera toujours accès à toutes les autres. Voici quelques-unes de ces différences :

 

 

1. La prononciation concerne surtout les voyelles et les consonnes

1.1 Parmi les voyelles, il faut distinguer celles qui sont toniques de celles qui sont atones.

1.1.1 L’alsacien, langue germanique, accentue surtout la première voyelle du radical.

1.1.1.1 Celle-ci est soit brève, soit longue (bien plus longue qu’en français). Le sud a davantage de longues que le nord et donne une certaine impression de lenteur.

1.1.1.2 Mais l’alémanique se caractérise surtout par ses diphtongues üe lüege (regarder) - et ie liege (mentir). Seul le strasbourgeois ne les possède pas et met un ö ou un é à la place, ce qui en fait déjà un parler vraiment à part.

1.1.1.3 Colmar et ses environs se distinguent par certains à, par exemple dans Mànsch (être humain), là où les autres ont un è : Mènsch.

1.1.1.4 Sinon, le Bas-Rhin a beaucoup de è, là où le Haut-Rhin a à : Bèttler (mandiant) au nord, Bàttler au sud.

1.1.2 Les voyelles atones apparaissent surtout après la première syllabe et tout particulièrement en fin de mot.

Là, c’est le sud qui se distingue par une prononciation très proche de -à, tandis que, plus au nord, on a souvent un -i très bref ou un -e presque muet. Ainsi, on dira e göti Ràis (bon voyage) à Strasbourg, e güeti Ràis à Colmar, mais pratiquement à güàtà Ràis à Mulhouse. Rien de tout cela n’empêche de se comprendre.

Dans la plus grande partie nord – jusque vers Ensisheim – beaucoup de noms féminins ont perdu le -e final au singulier, mais le retrouvent au pluriel :

Strasbourg :  Blöm_ (fleur)                          Blöme (fleurs)

Colmar :        Blüem_ (fleur)                        Blüeme (fleurs)

Mulhouse :   Blüeme (fleur)                        Blüeme (fleurs)

 

1.2 Pour les consonnes, il faut surtout signaler deux cas.

 

1.2.1 La prononciation du pronom personnel de la première personne du singulier divise l'Alsace en deux à peu près à la limite entre le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. Le nord prononce ich, mais avec un large sourire accompagnant ch, ce qui dénature ce son. Strasbourg se dispense de sourire et prononce ch à la française. Quant au sud, il aura d'abord un é plutôt qu'un i, puis un raclement de gorge proche d'un r fortement grasseyé.

 

1.2.2 Les consonnes occlusives faibles b et g peuvent encore faiblir entre deux voyelles.

- Dans le nord et jusqu'à Colmar environ, on a respectivement w et j.

- Autour de Mulhouse, c'est w (relâché), mais un g qui résiste.

- Tout au sud, les deux restent fermes, b et g : c'est déjà du haut-alémanique. Concrètement :

làwe (vivre) au nord et très loin, jusqu'à Altkirch environ, làbe plus au sud.

Waje (voiture) au nord, seulement jusqu'au sud de Colmar, Wage plus au sud.

N.B. : Strasbourg se distingue une fois de plus avec Wàwe au singulier et Wèje au pluriel.

 

 

 

 

 

2 La grammaire est globalement la même du nord au sud pour la syntaxe (place des mots dans la phrase), mais les divergences sont plus nombreuses au plan de la morphologie (formes grammaticales).

 

2.1 Le pronom personnel de la première personne n'est pas seul à se prononcer différemment (voir ci-dessus 1.2. 1), il en va de même de la troisième personne :

- du féminin singulier et du pluriel, avec si (elle) au nord et au sud,

- du masculin et du neutre singulier, avec èr (il) et ès (ce) au nord, àr et às au sud.

 

 

2.2 Le démonstratif proche est différent, dèr (celui... ci) au nord, au sud.

 

2.3 Le démonstratif lointain l'est davantage, zèller (celui... là) au nord, sàller au sud.

 

2.4 L'augment g- du participe est quasi général au nord, grâce à un -e- intercalaire, qui permet de le placer devant des consonnes occlusives :

- Strasbourg : gsààt (dit) gfahre (roulé) gebrilt (crié) gedènkt (pensé) kocht (cuit)

- Colmar :     gsàit, gfahre, gebrielt, gedànkt, kocht

- Mulhouse : gsàit, gfahre, brielt, dànkt, kocht.

 

2.5 Le présent du verbe wàre (devenir) est ich wur (je deviens) sur la plus grande partie nord de l'Alsace, mais éch wér dans le sud.

 

2.6 Au fond de la vallée vosgienne de la Thur, en amont de Thann, les prépositions mixtes ne le sont pas et ne régissent que le datif : Éch gang ém Garte (Je vais au jardin).

 

2.7 L'adverbe relatif wu (Haut-Rhin) ou wi (Bas-Rhin) équivaut au pronom relatif français : Sàl Màidle, wu dèrte laift (Cette jeune fille qui marche là-bas) / Zèll Màdel, wi dort lauft. Mais quand le pronom est précédé d'une préposition, le sud maintient l'adverbe relatif wu : Der Büe, wu-n-i mét grèdt han (Le garçon avec qui j'ai parlé), mais pas le nord : Der Bö, mit dèm i gerèdt han.

 

2.8 Ajoutons encore que le strasbourgeois ne possède plus ni le subjonctif du discours indirect (sèig (est) et hèig (a)), ni la forme longue du conditionnel simple (mèchtigt (aimerait)).

 

 

 

 

 

3 Le vocabulaire diffère assez peu, et les quelques exceptions sont connues de tous les Alsaciens, si bien que la compréhension n'en est nullement affectée.

 

3.1 C'est surtout vrai de la pomme de terre, Grumbér dans le Bas-Rhin, Hàrdèppfel dans le Haut-Rhin. De même le coq, Hahn à Strasbourg, Güller à Colmar et Güggel à Mulhouse. Quant à la tarte, elle ne se distingue des autres gâteaux ni à Strasbourg (Kösche), ni à Colmar (Küeche), mais plus an sud : Küeche (gâteau) (tarte). Pour commander un demi de bière, on dira e Seidel ! à Strasbourg, mais e Humpe ! à Mulhouse. Attention ! Des Kuttle, ce n'est pas la même chose à Colmar (boudin) et à Mulhouse (gras-double). Mais 's Vèjele est tout aussi poétique à Colmar (oiselet) qu'à Mulhouse (violette). Surtout pas de panique : notre liste est presque complète !

 

3.2 D'autres différences sont moins nettes, quoique constantes, comme ce -n bas-rhinois de fin de mot qui manque souvent en haut-rhinois :

- Bas-Rhin :   Rhin (Rhin), Win (vin), Ion (laisser), han (avoir), sin (être),

- Haut-Rhin : Rhi, Wi, lo ou losse, ha, .

 

 

3.3 Les adverbes de direction permettent de distinguer facilement le nord du sud :

 

- Bas-Rhin :   nuf (vers en haut), nab (vers en bas). ni (vers dedans), nüss (vers dehors)

- Haut-Rhin : ufe, awe, ine, üsse.

 

 

3.4 Vous a-t-on dit que les Mulhousiens n'écoutent pas ? Ah, ces Wackes ! Plus sérieusement, ils n'ont pas de verbe pour le dire. Ou plutôt, ils l'ont perdu. C'était le vieux verbe alémanique lose (écouter). Plus au nord, on utilise horiche, qui n'est pas d'origine alémanique, mais bien différent de hére (entendre). À Mulhouse, on trouva que lose faisait "plouc", donc indécent, parce qu'il ne ressemblait à aucun verbe de l'allemand biblique, ce qui est faux. Mais il est vrai que l'allemand "lauschen" a tellement évolué qu'on ne reconnaît plus en lui l'ancien "losen" du Moyen Âge. Et c'est ainsi que, par pur snobisme citadin, on ne sait plus exprimer la nuance qu'il y a entre écouter et entendre, utilisant le verbe hére dans les deux cas.

 

 

Comme le montre nettement ce qui précède, ces quelques différences ne sauraient compromettre la compréhension. Chaque individu peut s 'exprimer dans son parler local à lui et être compris, donc accepté, de tous. Et ce respect quotidien de la différence prédispose à la tolérance tant nécessaire à la vie en société. Du reste, il n 'est pas rare qu'une personne "aille à la rencontre" de son interlocuteur en s'efforçant de parler comme lui, faisant preuve d'une forme délicate de courtoisie.

 

 

 

 

N.B.: Pour davantage de précisions, voir, l' article Parlers alsaciens (Strasbourg, Colmar; Mulhouse), in Encyclopédie de l'Alsace, Éditions Publitotal, Strasbourg 1985, tome V, pages 5838 à 5853 (étude de Jean-Jacques BRUNNER, Université de Haute Alsace, cosignée avec Arlette BOTHOREL-WITZ et Marthe PHILIPP, Université des Sciences humaines de Strasbourg).